Connu et apprécié pour ses chroniques politiques très acerbes contre le régime, Steve Amoussou sous le sobriquet de Frère Hounvi a été enlevé dans une rue de Lomé lundi soir alors qu’il allait acheter de l’huile pour préparer. Le caractère commando de cet enlèvement relance la question sur les méthodes d’usage à la police et les techniques barbares de collecte de renseignement.
Le kidnapping du Frère Hounvi à Lomé dans la nuit du lundi 12 août étonne par son caractère odieux et crapuleux et rappelle à maints égards l’opération « Trident de Neptune » qui a permis à l’armée américaine d’aller abattre le 2 mai 2011 à Abbottabad en territoire pakistanais le patron d’Al Qaida Houssama Ben Laden. A la nuance qu’ici, il s’agit d’un terroriste dont la tête a été mise à prix par les Etats Unis. Le profil du kidnappé de Lomé est bien différent, disons même bien éloigné de celui du barbu reclus à Abbottabad. Cette opération fut faite à l’insu de l’armée et de la police pakistanaise comme d’ailleurs celle qui a permis de kidnapper Hounvi.
Journaliste de formation, il s’engage dans la presse béninoise où les conditions précaires de vie et de travail ne lui facilitent pas les choses. Mais en 2015, il est repêché dans la cellule de communication de Sébastien Adjavon, alors candidat à l’élection présidentielle de mars 2016. Il rêvait d’une bonne carrière dans la communication mais les brouilles entre son mentor et le nouveau chef de l’Etat donne un nouvel itinéraire à sa vie professionnelle. Il fut contraint à s’exiler mais avec son talent, il se mue en web chroniqueur politique. Ses chroniques très appréciées et partagées comme des petits pains sur les réseaux sociaux lui confèrent une grande réputation autant que son nom pseudonyme suscite mystère et interrogation.
Un rapt préparé avec minutie
Recherché depuis des lustres par la police républicaine pour ses chroniques très peu tendres contre Talon et son système, « Frère Hounvi » faisait l’objet d’un espionnage particulier. La police qui travaillait sans découragement a fini par tomber sur une « bonne » piste. Elle a réussi à identifier Féréolle Akueson un de ses collaborateurs, un graphiste qui l’aidait dans le montage de ses chroniques. La police réussit à l’arrêter le dimanche 04 août l’église en pleine messe. L’interrogatoire de ce dernier amène à une autre personne Roméo de Montaguère, lui aussi collaborateur du chroniqueur. Les perquisitions dans leurs domiciles et les fouilles de leurs ordinateurs et téléphones portables ont permis de disposer d’un faisceau d’informations qui ont permis de localiser frère Hounvi à Lomé. Dans la foulée, son frère jumeau aurait été aussi arrêté, écouté puis libéré. Ses deux collaborateurs ont été mis sous mandat de dépôt le vendredi 09 août à la prison civile d’Abomey-Calavi et leur procès est prévu pour le 7 octobre prochain. Selon des sources proches du dossier, ils sont accusés de cybercriminalité, chantage au gouvernement et atteinte à la sureté de l’Etat. De l’autre côté, la police enclenche l’opération d’arrestation du chroniqueur à Lomé. Compte tenu de la nature des relations diplomatiques entre Lomé et Cotonou, elle opte alors pour un rapt. La police a acquis de l’expérience pour ce genre d’opérations ces dernières années avec les expertises étrangères, rwandaises et israéliennes en l’occurrence, et l’acquisition d’équipements appropriés. La preuve, depuis 2019, la majorité des arrestations d’opposants ont eu lieu par des rapts. Cette fois-ci, il faut intervenir en terre étrangère sans que la police et l’armée togolaise ne puissent se rendre compte de rien. Un véhicule Suv est préparé pour l’opération avec des hommes. Les hommes ont commencé à roder autour de l’immeuble où vivait frère Hounvi trois jours avant l’opération. L’ordre leur a été donné de n’agir que la nuit afin que l’opération ne suscite pas trop d’attention et de réactions. Ce lundi soir aux environs de 22h à Adidogomè, Frère Hounvi était allé acheter de l’huile pour faire la cuisine quand il a été pris et jeté de force dans le véhicule 4 X 4 de plaque bleue et d’immatriculation béninoise. Au retour, le véhicule a dû emprunter un itinéraire bien tortueux afin de brouiller les pistes, surtout la police togolaise qui s’est lancée à leurs trousses après avoir appris l’enlèvement. Le trajet va durer toute la nuit avant que Hounvi ne soit amené hier au Centre National d’Investigations Numériques(CNIN), ex-OCRC où il est gardé et auditionné depuis hier.
Branle-bas à la mouvance
Depuis l’annonce du kidnapping de Frère Hounvi à Lomé, opposants politiques, acteurs de la société civile, citoyens sont tous consternés. Certains partis politiques dont Les Démocrates, le NFN et d’autres leaders politiques de la diaspora ont déjà réagi pour s’insurger contre ce rapt digne des Etats voyous. Mais en dehors d’eux, son arrestation intrigue et inquiète plusieurs acteurs politiques proches du pouvoir. Selon des sources concordances, les nombreuses révélations faites par frère Hounvi dans ses chroniques provenaient de frustrés de la mouvance et même de certaines sources très introduites dans l’entourage présidentiel. Depuis son arrestation, une peur bleue s’est emparée de beaucoup parmi eux. Certains se sont même mis à l’abri déjà craignant que le chroniqueur arrêté au cours des auditions auxquelles il sera soumis.