En Caroline du Nord, plus de 7 600 hommes et femmes ont fait les frais, jusqu’en 1974, d’un programme d’« intérêt public » empêchant notamment les personnes « faibles d’esprit » de se reproduire. Cette campagne a ciblé en priorité les Afro-Américains. Selon les spécialistes, plus de 60 000 Américains ont subi ces pratiques au XXe siècle.
Debra Blackmon avait 13 ans, en 1972, quand deux travailleurs sociaux du comté de Mecklenburg ont expliqué à ses parents qu’elle devait être stérilisée au plus vite. « Gravement retardée », avaient décrété les instances médicales et judiciaires de Caroline du Nord. Le 22 mars, l’adolescente afro-américaine a donc été conduite au Charlotte Memorial Hospital, où un médecin a pratiqué une hystérectomie. Elaine Riddick, elle, venait d’avoir 14 ans, en 1968, quand sa grand-mère, analphabète, a apposé un « X » en bas d’un formulaire de consentement autorisant la stérilisation de la jeune fille noire, tombée enceinte à la suite d’un viol. Après la naissance de son fils Tony, les membres du conseil de l’eugénisme de Caroline du Nord avaient déclaré que la jeune maman était « faible d’esprit » et de « mœurs légères ». Quelques années plus tôt, en 1965, une autre adolescente afro-américaine, Nial Ruth Cox, 17 ans, avait été gratifiée du même jugement (« feeble minded ») et forcée à subir la même opération à Plymouth, toujours en Caroline du Nord.
Debra, Elaine, Nial… trois histoires parmi des milliers, qui racontent près de cinquante ans d’une politique de
stérilisation forcée pratiquée par la Caroline du Nord. 7 686 personnes, des hommes et des femmes, parfois très jeunes, en ont été victimes. A l’échelon national, les spécialistes estiment que plus de 60 000 personnes ont subi, au XXe siècle, ces pratiques eugénistes, autorisées dans trente-deux Etats à la suite d’une décision de la Cour suprême des Etats-Unis (Buck v. Bell, 1927).
Harry H. Laughlin, le superintendant du Bureau d’enregistrement eugénique avait établi une liste des « personnes socialement inaptes », incluant notamment « les débiles mentaux », « les fous », « les criminels », « les ivrognes », « les aveugles », « les sourds », « les difformes »… « La première loi sur la stérilisation a été adoptée dans l’Indiana en 1907, rappelle Barry Mehler, professeur d’histoire à la Ferris State University (Michigan). Quand, en 1928, le canton suisse de Vaud a voté en faveur de la première loi européenne sur la stérilisation, les Américains en avaient déjà promulgué près de trente. »
Pour M. Mehler, ces politiques eugénistes s’apparentaient à une forme d’« hygiène raciale », une tentative de purifier la « race » des groupes « de basses catégories » et « dégénérés ». « Les eugénistes américains et européens ont créé un racisme et un sexisme génériques – les génétiquement inférieurs, poursuit l’universitaire. Sans surprise, les victimes se sont toujours révélées être les victimes traditionnelles de discriminations – juifs, Noirs, femmes et pauvres. » De fait, la population noire représentait 39 % des personnes stérilisées en Caroline du Nord en 1929, puis 60 % à la fin des années 1960, selon une étude de Lutz Kaelber, professeur agrégé de sociologie à l’université du Vermont.
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