Scandale à la Cour de France: La reine Marie-Thérèse accouche d’un bébé noir (Le père vient du royaume du Dahomey)

cour de france

Le 16 novembre 1664, l’épouse du Roi-Soleil donne naissance à une métisse. Les soupçons portent sur son domestique africain, le nain Nabo. Retrouvez chaque semaine les folles histoires de l’histoire de France.

Nul dans le long passé du royaume n’a vu reine si bien louée que notre présente souveraine, Marie-Thérèse. Sa conduite, sa sagesse, sa raison, tout en elle est célébré. Elle a du mérite, de l’exactitude dans l’accomplissement de ses devoirs, de l’attachement pour son époux, de la majesté dans les grandes heures, de l’agrément dans les plus discrètes. Songer qu’elle fut l’héritière à Madrid du plus puissant trône de tous les temps, ce fameux empire de Charles Quint sur lequel le soleil ne se couche jamais ! On observe pourtant chez elle une grandeur simple, naturelle, indépendante du geste et de la démarche, comme ignorante de sa haute naissance. Sa bonté paisible et son calme s’accompagnent de tant de vertus que sa modestie ne les peut couvrir. Elle semble ne s’abandonner qu’à ses chapelets, négliger les artifices de son ajustement, céder en tout lieu à son tempérament raisonnable et n’obéir qu’à la froide raison du devoir. Dans la cour de France, si futile, engageante et enjouée, elle promène un air espagnol de gravité religieuse qui inspire le respect. C’est dire avec quels égards les grands du royaume ont gagné, le mois dernier, ses appartements lorsque la nouvelle s’est répandue que Sa Majesté entrait en couches.

Il y a trois ans, déjà au mois de novembre, en 1661, la reine avait offert au royaume un fils, le dauphin Louis. Il y a deux ans, encore en novembre, une petite fille lui était née, Anne-Elisabeth, très vite décédée malheureusement, pour la plus grande peine de tous, et d’abord du roi. Et voilà que, toujours en novembre, l’arrivée d’un troisième enfant venait couronner un mariage heureux et un règne paisible. Félix, le chirurgien de la reine, l’assistait dans son travail. A leurs côtés, l’abbé de Gordes, présentement évêque de Langres, son premier aumônier, les accompagnait de ses prières. La naissance fut longue et bien fatigante pour Sa Majesté mais, à la nuit tombée, c’est une jeune princesse, Marie-Anne, qui fut présentée aux grands du royaume assemblés derrière une barrière dans la chambre même de la reine selon la coutume qui veut que les héritiers du plus brillant trône d’Europe apparaissent au monde au vu et au su de leurs futurs sujets. Et là, le scandale éclata.

A la vue du bébé le confesseur de la reine manque de s’évanouir

Tout d’abord, à la grande surprise de chacun, lorsqu’il s’approcha du bébé pour le bénir, l’abbé de Gordes fut pris d’un malaise. On dut le soutenir. Pis encore, comme essoufflé ou stupéfait, il s’évanouit d’affliction. L’effet fut prodigieux. Les courtisans présents se bousculaient. On cherchait à voir, on s’empressait, on se bousculait, on se tourmentait, on s’interrogeait, on s’agitait. Bientôt, la surprise tourna à l’ahurissement lorsque l’enfant, ainsi que l’exige la tradition, fut présenté à bout de bras aux invités. Le temps d’un regard, la stupeur imposa un silence de tombe là où, un instant plus tôt, caquetaient les piaillements d’une volière. Alors surgit l’éclat de rire tonitruant du prince de Condé. Puis son commentaire : « Mon Dieu, mais il est noir ! N’a-t-il pas tout l’air d’un petit Maure ? »

On connaît monsieur le Prince : à défaut d’une grande taille, la naissance lui a livré en gros un air de hauteur, de fierté, de commandement, d’assurance et de morgue. Indiscret, grand parleur, impétueux, altier, entreprenant, on dirait que, où qu’il aille, il marche des épaules, bouscule, renverse et triomphe. Nul autre artificier n’eût pu allumer plus vite la mèche. A peine avait-il parlé, crié plutôt, et ri, ou plutôt raillé, que la rumeur s’enflamma. Quel moyen au Louvre de demeurer immobile quand tout marche, se remue, court, piaffe, fourgonne ¬et se laisse emporter au torrent des ¬commentaires ? A son ¬arrivée, la foule déversait des ¬torrents ¬de louanges pour notre chère reine. Dès qu’elle s’égailla, elle n’eut plus qu’un bouil¬lonnement de fleuve en crue pour médire d’elle. N’attendez pas de franchise, de candeur, de bienveillance ou de générosité chez celui ou celle qui s’est livré à la cour. Tel le feu dans la plaine asséchée du mois d’août, mille explications insinuantes se répandirent dans les couloirs et les salons.

Soudain, tout ce qui faisait le charme de la reine contribua à alourdir son dossier d’accusation. Elle était timide, petite, gourmande et il fallait traverser de vastes landes ennuyeuses comme la pluie avant de trouver la petite prairie de son charme. Sous l’écorce de sa politesse coulait une sève froide et corrompue. La veille, ces intrigants, empressés et obséquieux, prêtaient des grandeurs romaines à Marie-Thérèse d’Espagne ; à présent, ils lui reprochaient de rester enfermée avec ses dames de compagnie, ses nains, ses confesseurs et son fameux chocolat, sa seule fantaisie – avec le jeu dont elle a pris le goût à Paris et auquel elle consacre des sommes royales au grand (mais muet) déplaisir de monsieur Colbert. Son innocence même tournait à son désavantage. Hier on trouvait touchant qu’elle invitât les maîtresses de son époux le roi à venir prier avec elle. Désormais, on y voyait malice. Et on riait sans se dissimuler de cette première dame de France qui, pour atténuer sa petitesse, chaussait des talons si hauts qu’ils la faisaient souvent tomber. Il suffit d’un instant pour que d’une sainte la cour fît une pestiférée. Plus tôt, on lui prêtait une vertu sévère qui n’entrait pas dans les faiblesses humaines ; à présent on lui attribuait des faiblesses qui la chassaient de toute espèce de vertu.

Le roi demande au lieutenant de police de mener l’enquête

Un grand silence se fit lorsque le roi enfin arriva au chevet de son épouse et de sa fille. Chacun s’était retiré. Ne restaient dans l’appartement que quelques dames de l’entourage de la reine, son chirurgien et son confesseur que les sels avaient ramené à lui. On murmurait en espagnol. L’heure n’était plus à fournir des prétextes de plaisanterie mais des explications. Dans un mélange savoureux de termes castillans et de mots français, la camarera mayor de la reine évoqua devant le roi le péché de gourmandise de sa maîtresse et son inclination coupable pour le chocolat dont, à force d’abus, une couche épaisse avait tapissé les entrailles de la souveraine au point d’altérer le teint de l’enfant qu’elle portait. Sa Majesté ne parut point convaincue et s’enquit auprès du chirurgien de sa propre interprétation. Sans exclure la vraisemblance de ce raisonnement, M. Félix évoqua l’intimité de la reine et de son nain préféré, le petit Nabo, ramené il y a quelques années du Dahomey par l’amiral de Beaufort.

Les chastes pirouettes et les innocentes facéties de cette pittoresque créature faisaient en effet de longue date le bonheur des appartements espagnols du palais et la joie de la reine qui, comme dans un conte mahométan, avait rebaptisé Nabo « Osmin ». Depuis qu’elle s’était entichée de lui, la fascination du jeune homme s’accompagnait en retour d’une telle vénération qu’il couvait sans cesse sa maîtresse de regards affectueux dont l’élan pouvait avoir troublé les mécanismes de reproduction de Sa Majesté. Agacé, le roi haussa les épaules et, fixant d’un œil sombre le médecin, lâcha ces mots lourdement sceptiques : « Fallait-il qu’il eût le regard pénétrant ! » Sur quoi, le roi ajouta qu’il se demandait si le chirurgien était bien instruit des mystères de la conception. Puis il se retira et pria le lieutenant de police du royaume, monsieur de La Reynie, de mener enquête avec diligence et, s’il convenait, de la pousser aux extrémités. Il semble que le cœur de la reine voulut se fendre mais elle reçut cet ordre avec tout le respect, toute la fermeté et toute l’humiliation que méritait un si lourd soupçon, mais qu’allégeait la pureté de sa conscience. A peine ajouta-t-elle que cette naissance était une mortification que Dieu lui faisait souffrir mais que son cher époux rayerait vite l’article de l’infidélité sur la mémoire de ses défauts. Puis elle ordonna à sa compagnie de répondre sans détours aux questions de monsieur de La Reynie.

Vingt ans après, une jeune fille noire arrive à Notre-Dame de Meaux

 La tâche pour lui n’était pas simple. On connaît ces dames espagnoles : elles impressionnent fort à force de se taire et se rendent importantes par des silences soutenus. Une inflexion de voix, un geste à peine esquissé, une ébauche de sourire vite retenu et elles se jettent sur leur prie-Dieu pour confesser d’imaginaires péchés de commérage. Pourtant les faits sont les faits et deux d’entre eux sont à présent établis. D’une part, le jeune Nabo a disparu et nul ne l’a revu. depuis la naissance de la petite princesse. D’autre part, plus la date des relevailles approchait, plus la reine avait paru à tous tourmentée, inquiète, lasse et sans agrément, comme si, au lieu d’un bonheur et d’un sou¬lagement, sa conscience appréhendait questions et perquisitions. Du moins telle était la rumeur qui parcourait le Louvre. Tout à leur affaire, fines mouches et mauvaises langues insinuaient ainsi que la reine se serait consolée en petit (tout petit en vérité) comité d’être belle et vertueuse inutilement tandis que son époux ne cachait pas son intimité avec madame Henriette d’Angleterre, sa belle-sœur, et avec mademoiselle de La Vallière. En réalité, notre journal a eu connaissance du rapport de monsieur de La Reynie et ses conclusions ne mettent nullement en cause la fidélité de la souveraine.

C’est monsieur Fagon, premier chirurgien du roi, qui fournit l’explication d’un mystère qui n’en est point un. L’accouchement avait été éprouvant pour la reine et l’on pensa même qu’elle allait y perdre la vie. Mais il l’avait été aussi pour le bébé qui, tandis qu’il sortait des entrailles de sa mère, manqua d’air. Au point de paraître à son arrivée non pas noir mais violacé. Seulement le jour tombait, l’éclairage des appartements était à la pénombre, le feu alimenté sans relâche avait encore aggravé par ses fumées l’obscurité, et nul, dans cette demi-nuit, ne pouvait distinguer le noir du bleu, du marron, du gris ou du violet. Monsieur le Prince crut avoir vu ce qu’il n’avait point vu mais qui l’eût amusé de voir, il le claironna et les importants sans importance de la cour, enchantés de voir une dévote soudain expulsée chez les coquettes, se firent un devoir de répandre une rumeur aussi fielleuse que menteuse.

Soulagée d’être relevée d’un si odieux discrédit, la reine fut bientôt accablée d’une autre douleur quand sa petite fille, la princesse Marie-Anne, fut déclarée morte quarante jours plus tard, le 26 décembre 1664, non sans avoir été baptisée. Grâce à Dieu et à sa providence, la santé du dauphin Louis n’offre aucune alarme et, à 3 ans, il semble croître fort comme un tronc et beau comme un lys. Toutefois, il y a déjà deux ans, la princesse Anne-Elisabeth avait également passé après quelques jours seulement. Les médecins s’interrogent sur les sangs du couple royal. Ne sont-ils pas trop proches ? Le roi avait pour mère Anne d’Autriche, qui était la sœur de Philippe IV, le père de la reine. De fait, ils sont doubles cousins germains. Les mystères des humeurs internes et de la circulation du lymphatique demeurent bien obscurs à la science mais certains se demandent à la faculté si, en ces matières de conception, la variété des sangs ne mérite pas plus considération que leur pureté…

Inconnue, mais de fort bonne éducation

Ainsi s’achevait il y a une quarantaine d’années notre article consacré à la naissance de la princesse Marie-Anne et il semblait alors que l’Histoire avait tourné la page. Le caractère de la reine jugeait pour elle et lui attirait toute sorte de confiance. A sa mort, en 1683, quand Sa Majesté lui rendit hommage en avouant que c’était la première fois qu’elle lui causait un chagrin, le scandale de l’enfant noir semblait enterré au fond des mémoires. Jusqu’à ¬ce qu’apparaisse une adolescente noire chez les cha¬noinesses de l’abbaye Notre-Dame de Meaux. Inconnue mais de fort bonne éducation, elle venait d’un village proche de Cahors où elle avait été élevée par un ancien valet de la cour. Nul ne prêta grande attention à cette novice. D’où la stupéfaction générale, une dizaine d’années plus tard, le jour où elle prit le voile sous le nom de sœur Louise-Marie de-Sainte-Thérèse au couvent des bénédictines de Moret-sur-Loing, à proximité de Fontainebleau. Non que ces trois prénoms aient étonné particulièrement. Mais plusieurs hauts personnages lui firent l’honneur d’assister à la cérémonie.

Si l’effet fut considérable dans la petite communauté religieuse, nul à la cour ne s’étendit en explications sur ce mystère et, la surprise retombée, le silence et l’oubli auraient vite retrouvé leurs aises coutumières au couvent si princes de sang et membres de la cour n’avaient continué de rendre de brèves visites à la recluse de Moret-sur-Loing. Que cherchaient-ils ? Chacun se posait la question, et chacune. Et de répondre que sœur Louise-Marie de Sainte-Thérèse avait sans doute des dons en occultisme. En ces dernières années de règne du Grand Roi, un goût pour l’astrologie et la divination semblait en effet emporter la société au point que Sa Majesté s’en était agacée et donnait à Versailles la chasse aux tables tournantes. Les passages de Madame de Maintenon elle-même auprès de la religieuse achevèrent d’intriguer. Jamais la première dame du royaume n’eût contrevenu aux souhaits de son souverain. Elle venait donc pour d’autres et mystérieux motifs. Sans doute chrétiens. Le roi, bon père pour tous ses enfants, ne se résignait peut-être pas à abandonner la fille de Marie-Thérèse, victime avec Nabo d’une faiblesse passagère à laquelle lui-même, des années durant, n’avait cessé de s’abandonner.

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Alex Hountondji

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